Le mercredi 12 juin 2024, l’Université Amadou Mahtar MBOW (UAM) a organisé un panel d’experts sur l’Intelligence Artificielle (IA) avec pour thème : “Pour une IA éthique et responsable : défis et opportunités pour le Sénégal”. Cet événement a réuni les plus grands spécialistes de l’IA au Sénégal, offrant un débat de haut niveau.
Ce panel a été organisé à l’initiative du Vice-Recteur chargé de la Recherche, de l’Innovation et des Partenariats, Pr Roger Marcelin FAYE. Cet événement a réuni des membres du PER, du PATS, ainsi que des étudiants.
Parmi les intervenants figuraient des experts éminents tels que Dr Diyé DIA, informaticienne spécialisée en Machine Learning et Directrice associée d’Aristarc Conseils, Dr Mouhamed Moustopha DIOUF, architecte en systèmes d’information et expert en Big Data, Président du groupe Baamtu, Dr Seydina Moussa NDIAYE, Informaticien spécialisé en Intelligence Artificielle, expert en IA de l’ONU, etc., et Pr. Sylvain Landry Birane Faye, Professeur Titulaire des Universités, Directeur du laboratoire de Sociologie, Anthropologie, Psychologie (LAGAP) de l’École Doctorale ETHOS à l’UCAD. Le panel était modéré par M. Antoine NGOM, Directeur Général de GSE Technology et membre du Conseil National du Numérique et du Conseil d’administration de l’UAM.
Les discussions ont débuté par une présentation des définitions de l’IA, en termes accessibles à tous. Les experts ont unanimement décrit l’IA comme un processus d’imitation de l’intelligence humaine via des algorithmes exécutés dans un environnement informatique dynamique.
Ensuite, les participants ont exploré l’impact et les opportunités de l’IA dans divers domaines tels que la santé, l’agriculture, la culture, et l’enseignement. Ils ont souligné l’importance de l’IA pour les étudiants et pour la résolution des problématiques sociétales concrètes et transversales.
Dr Mouhamed Moustopha DIOUF a souligné que le groupe Baamtu intègre l’IA depuis 2018, anticipant sur les défis liés à la croissance démographique et aux besoins sectoriels en Afrique. Il a mis en évidence le potentiel économique de l’IA, projeté à 1500 milliards de dollars d’ici 2030, et s’est interrogé sur la part que l’Afrique pourrait en prendre.
Dr Mouhamed Moustopha DIOUF évalue l’impact de l’intelligence artificielle (IA) à travers deux exemples concrets. Tout d’abord, dans le domaine de la santé, l’IA permet d’accélérer et de rendre plus précise la détection des maladies les moins connues. « Prenons le cas de l’hémophilie. Nous avons collaboré avec le Centre national de transfusion sanguine et le Centre hospitalier universitaire de Genève (Suisse) pour développer un chatbot. Cet outil permet à chacun de poser des questions en français et en wolof pour mieux comprendre cette maladie. Le succès de ce chatbot repose sur l’intégration d’une langue locale, et nous travaillons sur l’intégration des langues africaines dans les applications de Baamtu pour plus d’équité. »
Un autre exemple concerne l’automatisation des remboursements pour les prises en charge médicales d’une société d’assurance au Nigeria. Grâce à l’IA, les processus de traitement des demandes de remboursement sont accélérés, ce qui permet une gestion plus efficace et une réduction des délais pour les milliers d’abonnés.
Dr Diyé DIA a, quant à elle, abordé les problématiques des projets d’intelligence artificielle au Sénégal. Tout d’abord, il est nécessaire de sensibiliser et d’éduquer les entreprises pour cerner leurs besoins ou les aider à définir des projets IA. En d’autres termes, il faut éduquer avant de pouvoir vendre un produit d’IA, compte tenu de sa nouveauté.
Ensuite, se pose la question de trouver des talents commerciaux possédant une maîtrise des aspects techniques de l’IA afin de susciter l’adhésion des entreprises. De plus, il est crucial de disposer de ressources humaines et techniques adéquates pour mener à bien les projets d’IA, ainsi que de garantir la qualité et la disponibilité des données nécessaires.
Dr Seydina Moussa NDIAYE a abordé les stratégies et les politiques mises en place par le Sénégal pour se positionner efficacement dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA). Selon lui, le Sénégal développe deux stratégies principales : la gouvernance des données et l’IA. En outre, l’État du Sénégal, en collaboration avec l’UNESCO, travaille sur une approche éthique de l’IA.
« Dans la mise en œuvre de ces stratégies, le Ministère du Numérique a décidé de se concentrer sur la création d’un espace de données (data space). Cette orientation sectorielle consiste à identifier les problématiques dans des secteurs choisis, puis à apporter des solutions en utilisant l’IA basée sur ces data spaces. Les premiers secteurs concernés sont l’agriculture et le tourisme, suivis de l’environnement et de la culture, en collaboration avec les acteurs du secteur. Le projet d’acquérir un supercalculateur pour l’IA et les calculs scientifiques s’inscrit également dans cette démarche.
En parallèle, des projets IA dans le domaine de l’agriculture visent à maîtriser la chaîne de valeur du riz. Cela inclut l’identification automatique des parcelles de riz à l’aide d’images satellitaires pour maximiser les potentialités des cultures de riz.
Dr Seydina Moussa NDIAYE a souligné que l’IA est intrinsèquement multisectorielle. « Les meilleures applications d’IA au monde ne sont pas développées par des informaticiens, mais par les acteurs du domaine concerné. L’IA est conçue pour répondre à une problématique déjà identifiée et comprise en amont. Pour cela, il est nécessaire que les acteurs du domaine ciblé travaillent en équipes pluridisciplinaires. »
Pr. Sylvain Landry Birane Faye a évoqué les défis que pose l’intelligence artificielle en termes de réglementation, de gestion des données, d’éthique et de responsabilité juridique, soulignant que cette technologie concerne directement l’humain. En ce qui concerne les données, il a insisté sur l’importance de la représentativité en termes de genre, de territoires et de groupes socio-économiques. « Il y a aussi le défi de la transparence et de l’exploitabilité des algorithmes, sans oublier le défi environnemental. Les centres de données consomment beaucoup d’énergie et d’eau, notamment en période de changement climatique. Les défis éthiques touchent la dignité humaine, la transparence, la sécurité et la responsabilité. Les langues locales ne doivent pas être une source de discrimination ou d’exclusion de groupes sociaux. L’équité et l’inclusion doivent prévaloir pour les personnes qui ne maîtrisent pas le français ou l’anglais, etc. », a-t-il déclaré, tout en lançant un plaidoyer pour une décolonisation de l’IA.
Concernant les recommandations, Dr Mouhamed Moustopha DIOUF a appelé à la mise en place d’un fonds pour le financement des projets de recherche et des entreprises performantes dans le domaine de l’IA au Sénégal. Dr Diyé DIA a, quant à elle, prôné la sensibilisation et la démocratisation de l’IA pour former des talents capables de consommer et de produire dans ce domaine, ainsi que la création d’un environnement favorable pour attirer d’autres talents étrangers vers notre pays. Elle a également souligné l’importance de mettre l’accent sur l’inclusion des femmes à toutes les étapes du processus.
Dr Seydina Moussa NDIAYE a invité l’État à mettre en place une structure opérationnelle dédiée à la mise en œuvre de sa vision concernant l’intelligence artificielle. Cette structure autonome permettrait de lever des fonds pour financer les projets IA.
Pr Sylvain Landry Birane Faye a proposé la création d’un système d’audit des données afin de prendre en compte l’aspect genre. Il a également souligné l’importance de préparer la société sénégalaise à l’IA à travers la communication, la sensibilisation et la vulgarisation de l’IA, afin de favoriser une bonne culture de l’IA et des données.
À l’issue de ces débats intenses et réflexions approfondies sur les défis et opportunités de l’intelligence artificielle au Sénégal, le Recteur de l’UAM, le Professeur Ibrahima Cissé, a souligné une idée cruciale relative à l’éducation et à l’enseignement : « Malgré sa jeunesse, l’UAM a rapidement pris conscience des évolutions dans les domaines des connaissances scientifiques et techniques, ainsi que des systèmes d’information, et des attentes croissantes du public. Cette prise de conscience doit nous inciter à repenser nos modes d’intervention », a-t-il déclaré avec conviction.
Il a également ajouté que « bien que nos universités se concentrent actuellement sur l’enseignement traditionnel, il est impératif d’envisager un changement de paradigme. Dans le domaine de l’éducation, ce changement est inévitable. Nous ne pouvons continuer à enseigner comme nous avons été enseignés, il y a des années. Il est temps d’adopter de nouvelles approches dans l’enseignement, l’évaluation et l’apprentissage ».