L’université sénégalaise est aujourd’hui à un moment charnière de son histoire. Entre des défis persistants – financement fragile, massification incontrôlée, inadéquation formation-emploi – et des opportunités nouvelles, liées par exemple à la numérisation, à l’internationalisation, à la coopération interuniversitaire et aux réformes en cours, elle doit faire un choix décisif de l’audace et de la transformation en profondeur. Cela suppose de repenser non seulement ses sources de financement, mais aussi les méthodes d’enseignement, la gouvernance des établissements et le rôle même de l’université dans le développement du pays. Le statu quo n’est plus tenable. Il est temps de bâtir un modèle plus durable, plus compétitif, et résolument tourné vers l’innovation et la qualité.

Alors que le Sénégal s’apprête à lancer l’Agenda national de transformation de l’enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (ANTERIS), l’espoir d’un système plus efficace, inclusif et compétitif renaît. Il s’agit d’un tournant majeur, dans un contexte africain où les universités, malgré les efforts, peinent encore à répondre pleinement aux exigences du développement durable, de l’employabilité des diplômés et de l’excellence scientifique.

La Commission africaine de l’Union africaine dans son Plan de développement continental pour l’éducation (CESA 2016-2025) souligne clairement que l’enseignement supérieur africain doit être reconstruit sur des modèles durables, tant pédagogiques qu’économiques, pour servir de levier à l’émergence du continent. Dans cette même dynamique, l’UNESCO rappelle que « repenser l’éducation supérieure, c’est repenser les finalités de l’enseignement, mais aussi les modalités d’apprentissage, les environnements pédagogiques et les mécanismes de financement » (UNESCO, Repenser l’enseignement supérieur en Afrique, 2021).

Un modèle financier en quête de viabilité
Le diagnostic est connu : le modèle financier actuel des universités sénégalaises est structurellement déficient. Il repose principalement sur un financement public quasi exclusif, dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint. Les coûts d’extension des infrastructures, la massification de la population étudiante, et les besoins croissants en personnel académique pèsent lourdement sur les finances publiques.

Pourtant, aucune forme durable de transformation du système ne peut s’envisager sans un financement innovant et diversifié, incluant notamment des partenariats public-privé, une valorisation des résultats de la recherche, une meilleure mobilisation des ressources propres (formation continue, entrepreneuriat universitaire, digitalisation de services), ainsi que des mécanismes incitatifs à la performance.

Ne pas négliger le modèle pédagogique
Mais il serait illusoire de penser que le problème se limite au financement. Car le modèle pédagogique en vigueur, encore trop marqué par une tradition transmissive et académiste, conditionne en profondeur la soutenabilité économique du système.

En effet, enseigner autrement, c’est penser autrement les curricula, les compétences ciblées, les pratiques d’évaluation, les outils numériques, et les environnements d’apprentissage. Il s’agit d’un passage nécessaire vers une pédagogie active, centrée sur les compétences, les dispositifs hybrides, la créativité et l’apprentissage par projet. Or, ces méthodes — lorsqu’elles sont bien conçues — sont souvent moins coûteuses à long terme, car elles réduisent l’échec, favorisent l’autonomie des étudiants et enrichissent l’adéquation formation-emploi.

Comme le rappelle le rapport du Groupe de travail de l’ADEA sur l’enseignement supérieur : « Le défi de l’enseignement supérieur africain n’est pas seulement quantitatif, il est profondément qualitatif ; seule une transformation structurelle, inclusive et systémique peut maintenir l’université du XXIe siècle debout ».

Une ambition systémique et stratégique
La transformation attendue devra donc être systémique et stratégique. Elle implique une réforme de la gouvernance, une vision partagée, l’implication des parties prenantes et le pilotage du changement avec rigueur.

Il ne s’agit pas simplement d’enseigner plus, mais bien d’enseigner autrement, pour former autrement, et, in fine, pour transformer l’avenir par l’université.

Chères et chers collègues, nous avons les clés pour transformer l’enseignement supérieur

Le passage au LMD : une réforme structurelle aux effets ambivalents
Le basculement vers le système Licence-Master-Doctorat (LMD), amorcé dans les universités sénégalaises au début des années 2010, avait pour ambition de favoriser la lisibilité internationale des diplômes, la mobilité académique et l’harmonisation des parcours dans l’espace africain et européen de l’enseignement supérieur. Si cette réforme a permis certains progrès — notamment l’introduction des crédits capitalisables, la modularisation des formations, une plus grande ouverture vers l’interdisciplinarité —, elle a également révélé des failles profondes du système.

En l’absence d’un encadrement rigoureux, le LMD s’est trop souvent traduit par une massification non maîtrisée, un surcroît de charges administratives et pédagogiques, sans toujours produire les effets qualitatifs escomptés. La forme pédagogique doit donc désormais être pensée au-delà du cadre formel du LMD, pour répondre aux véritables défis de qualité, d’insertion et de pertinence.

Sortir des amphithéâtres : une nécessité pédagogique
Nos amphithéâtres, joyaux de l’université et symboles de la transmission académique, se sont transformés en espaces où, trop souvent, la parole domine seule. Pourtant, nous savons qu’occuper passivement un cours magistral ne permet pas d’acquérir les compétences pratiques attendues par les milieux professionnels.

Il ne s’agit pas d’abandonner les savoirs, ni d’ériger leur remise en cause en dogme, mais bien de redéfinir leur place dans un écosystème d’apprentissage actif, fondé sur le « faire », le « dire » et le « vivre » ensemble. Penser et construire autrement des dispositifs d’apprentissage, des environnements apprenants, c’est réinventer l’université.

Comme l’écrivait à Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu dans une lettre à son ami Antoine Prades en 1689 (alors qu’il était encore étudiant en classe de droit) : « Un homme ne vaut que ce qu’il fait ». Nos étudiants doivent apprendre à construire leurs propres savoirs. Il faut faire évoluer notre posture de dispensateurs de cours : devenons des facilitateurs, des mentors.

L’éducation contemporaine demande une pédagogie active : celle où les jeunes apprennent par la pratique, en expérimentant, en confrontant leurs idées au réel, en collaborant avec d’autres. En privilégiant des approches basées sur des études de cas, des projets concrets, des jeux de rôle, des simulations et des stages, nous leur permettons d’acquérir des compétences transversales tant recherchées aujourd’hui : pensée critique, initiative, travail en équipe, capacité à résoudre des problèmes complexes.

Former des citoyens compétents et responsables
Les jeunes que nous formons aujourd’hui ne se contenteront pas d’être de bons techniciens. Ils doivent être des acteurs capables de réfléchir de manière autonome, de contribuer activement à la société, et d’innover. Il est donc de notre devoir d’insérer nos enseignements dans une approche plus globale, intégrant les enjeux contemporains : développement durable, transformation numérique, inclusion, éthique. Former des citoyens compétents ne peut se limiter à l’accumulation de connaissances disciplinaires. Nos étudiants doivent apprendre à naviguer dans l’incertitude, à collaborer dans la diversité, à gérer des projets ambitieux.

Préparer des compétences qui évoluent, c’est aussi accompagner des mobilités cognitives et émotionnelles, dans un monde où l’obsolescence des savoirs est de plus en plus rapide.

En ce sens, la pédagogie universitaire doit devenir une entreprise de co-construction : en tant qu’enseignants, nous devons faire preuve de créativité, d’écoute, de patience et de sens critique, pour mieux comprendre nos étudiants, pour mieux comprendre notre époque. En adoptant cette approche, nous serons en mesure de mieux ancrer l’université dans ses missions fondamentales : former, transformer, innover.

L’urgence d’un nouveau paradigme éducatif
Nous sommes à un tournant décisif. L’université du XXIe siècle ne peut se contenter de faire plus de la même chose. Elle doit faire autrement, pour mieux faire. À cette réforme de fond, il faut associer notre voix, notre engagement, notre expérience, et surtout notre volonté de transmettre. Nous devons oser de nouvelles formes, oser des expériences audacieuses, oser une refondation sincère du rapport au savoir. Il en va de notre responsabilité collective face aux jeunes générations, à nos sociétés, à l’avenir.

Avec tout mon respect et ma considération pour votre dévouement.